jeudi

Il était une fois, une nuit..



Cette nuit, j'ai traversé un conte.
Une histoire d'allumettes, de princesses, d'un bossu, de couleurs, du Prince Bleu et d'araignées.
Indomptable rage de vie.

Avant,

Le jeune Chinois.
Je lui achète mes cigarettes. Il voit souvent arriver cette fille la tête un peu ailleurs, le jeune Chinois.
Il m'accueille toujours avec un grand et vrai sourire. Il a les yeux rire.
On parle de terres d'ailleurs, des lubies du temps, des gens d'ici et de là-bas.
Je fais toujours mine de ne pas me souvenir du nom des brûle-poumons qui oxygènent mes nuits. Et lui aussi.
A chaque fois.

Alors je lui souffle: "bleues.Elles sont bleues". En petit paquet. Pétille à l'oeil, il entre dans mon jeu:
il tâtonne une à une les rangées de couleurs, attentif, jusqu'au mot magique: " Oui! Celles-là"!!
Ensuite, il m'offre des allumettes, le jeune Chinois.
A chaque fois.
Il ouvre une petite boite en carton comme s'il m'offrait les plus belles pierres de son coffre à joyaux. Le rose aux joues, je pioche dans son trésor avec gourmandise et j'en remplis mes poches comme une gamine.
Puis il me glisse: "Fais attention à toi...".
A chaque fois.

Ses allumettes ouvrent mes nuits et j'aime à penser qu'elles me protègent.


Après,
Une ombre s'est approchée dans le scintillement de la neige. Une femme, vêtue de noir. Elle m'a demandé du feu pour griller son crève-poumon. Je lui ai donné une boite d'allumettes.
Nos sourires se sont mêlés. Et puis elle a disparu au coin de la nuit. Ombre brouillée. J'aurais voulu lui dire, à la femme en noir, que c'était le joyau d'un jeune Chinois qu'elle emportait entre ses doigts.

Après,

Sur le sol de ce métro. Là où les ombres s'animent. J'ai croisé le regard d'un homme sur le quai d'en face. Vêtu de noir.De peau.Il s'est arrêté.Immobile.Il a observé la fille aux poches pleines d'allumettes.

Soudain, il s'est échappé en courant vers les escaliers.
En entrant dans la rame, je l'ai vu, à quelques mètres de là. Il avait couru jusqu'à moi. Il s'est assis quelques places plus loin. Quand il m'a observée, j'ai souri à son reflet, pensant: "Je n'ai pas de pantoufle de vair, tu sais. Mais sais-tu où se trouve mon Prince Bleu?".
J'ai songé aux innombrables princes et princesses qui se cherchent dans les couloirs de l'existence sans jamais se trouver.
Puis je me suis échappée, en courant vers les escaliers.

Après,

Dans cet endroit au nom qui fait sourire les enfants et les grands. Cette grosse araignée. Et puis cette autre. Je repense à celles de Louise Bourgeois que j'ai effleurées, un jour à Paris. Matrice.
Et puis j'ai croqué en couleurs le visage de cette douce et belle amie. Miroir... aux yeux de celui qui t'aime, oui, tu es la plus belle.


Après,

Je suis dehors, devant la porte de ce restaurant. J'ai laissé les autres au chaud avec leurs discussions de grands.
Je brûle les blondes, la face au vent.Je joue avec une troisième, la prochaine.
Telle une araignée dégingandée, un vieux est arrivé, bossu par le poids des sacs mités, sa maison harnachée sur le dos,

Il m'a dit:
"Je peux t'acheter une cigarette ?"
"Je te la donne, la cigarette"

Le vieux bossu a approché un briquet usé près de ma gorge. Un briquet vert foncé. Mais le feu était fébrile, fatigué et engourdi par les longs voyages. Avec l'application d'un enfant, le bossu a soufflé sur la poussière qui enraillait la pierre. J'ai vu les traces de poussière se dessiner dans l'air, interdite, fascinée par ce geste d'une telle beauté. Mais le vent cinglant a éteint le foyer..

Alors le vieil homme a ôté le mégot fumant de sa bouche et l'a porté à ma troisième cigarette, la prochaine, juste à l'entrée de mes poumons, pas si loin du cœur. De sa main grise, j'ai aspiré l'air de feu, des lumières incandescentes accrochées tout au bout.
J'aurais voulu lui dire: "Tu sais, je voulais te donner des allumettes, c'est un jeune Chinois qui me les a offertes, mais puisque tu veux me confier une flamme, je la prends et je la garderai vive, longtemps".

Après,

J'ai recroisé le bossu, les fondations de sa vie accrochées à ses reins.
Dans l'avenue enneigée, trois matelas abandonnés, recouverts d'une écume de glace. Et je pense à ton lit de poussière, toi, l'amie qui est partie et à toutes les couleurs que tu ne vis plus.

Dans les contes de fée, on peut réveiller les morts par un baiser. Je lève la tête au vent, Modern love de Bowie dans le cortex .. .puis je souris.
Je suis rentrée avant minuit. Le temps de griller quelques allumettes.

Cette nuit, les vents étaient furies, les paillettes de neige virevoltaient au creux du sentiment profond d'être vivant.
Les contes de ma vie ne vieilliront pas. Je les garderai tatoués en moi jusqu'au jour où je ne pourrai plus modeler la terre que par l'empreinte de mon corps froid.


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